HANDICAP ET VIE QUOTIDIENNE

Expérience – réflexion :

Je m'appelle Andrée MAS et je m'occupe, depuis 2 ans, de mon petit fils Bertrand, enfant handicapé.

Expérience et réflexion qui en découlent :

Une naissance est toujours synonyme de joie, de projets au sein de la famille. Un accident lors de la grossesse est souvent redouté ; l'appréhension d'une anomalie également que l'on rejette inconsciemment.

La naissance peut être aussi le début d'un drame, drame au quotidien dont on cerne mal, au départ, toutes les implications dans la vie de l'enfant et dans celle de sa famille.

Les proches ne discernent que progressivement le handicap, l'enfant étant toujours très en retard à chaque étape de son développement. Il y a les petites manifestations différentes que l'on perçoit et que l'on refuse de voir.

Ce terrible diagnostic, immédiat ou chez d'autres incertain, se précise au cours des semaines puis des mois.

Plusieurs médecins consultés, aucun diagnostic ; des avis différents et diamétralement opposés. Les parents ne sont éclairés que petit à petit : leur bébé sera un enfant "différent". La réalité est là, et bien là.

D'abord, il faut faire le "deuil" en quelque sorte, enterrer en soi l'idée d'un bébé normal. Il va falloir ensuite, chercher le vrai visage de cet enfant et essayer de le reconstruire.

Pour les familles débute une sorte de chemin de croix, jalonné de périodes d'espoir et de découragement mais un VOULOIR toujours porté par l'amour pour ce petit, en grande difficulté.

Vie de famille modifiée :

Toute la vie de la famille, de la maisonnée est modifiée.

  • la relation du couple est souvent perturbée, différentes attitudes peuvent se voir. La mère étant centrée sur son enfant prend parfois de la distance vis-à-vis de son conjoint. Le père craint un peu cet enfant qui ne le valorise pas, qui blesse son orgueil. L'un peut culpabiliser l'autre et le rendre responsable du handicap. Inconsciemment l'un des conjoints peut ne pas se sentir assez fort pour faire un chemin qui s'annonce semé d'embûches et préfère fuir, quitter la maison ; s'éloigner d'une vie tout à fait différente de la "normalité".
  • les frères et sœurs : il est difficile d'agir en sorte qu'ils ne se sentent pas lésés. Les parents sont centrés sur ce petit enfant, attentifs au moindre geste qui signe un progrès, s'émerveillent devant une minuscule amélioration. Parfois un peu de jalousie s'installe. Ces frères et sœurs sont plus souvent sollicités que d'autres enfants de leur âge : pour aider à soutenir, à surveiller quelques instants, à participer à "tirer" ce petit être si différent qu'ils aiment tant mais qui demande beaucoup d'efforts, et ce, pendant des années. Ils sont tenus de modérer leurs jeux pour ne pas réveiller ou effrayer celui dont le sommeil est si léger.
  • le besoin de calme : l'enfant a un sommeil très très léger, discontinu, il se réveille au moindre bruit et toute la maisonnée "avance" sous le : "chut ! bébé dort". Une mauvaise nuit précède une journée sans amélioration pour l'enfant "différent" et un lendemain pénible à assumer pour les parents. 


S'ajoute à ceci : vomissements (le cardia ne joue pas son rôle) - crises d'épilepsie - etc… Pour les uns, la vie va continuer ainsi, il n'y aura jamais d'amélioration ; pour les autres, petit à petit, l'enfermement va disparaître, ces "bichounets" vont "sortir de leur tête", d'autres difficultés vont commencer. Le -pas de tonus- passe à la rigidité ; vers 3, 4, 5 ans, la marche arrive, hésitante, puis saccadée, pendant des années avec des chutes souvent importantes. 

Lorsque l'enfant marche, le problème persiste, plusieurs fois par jour il faut lui donner des soins de propreté et comme il se plie mal à cette nécessité, il prend une direction opposée, la mère doit encore le porter et le poids augmente de façon stupéfiante par la résistance. Il tire en sens inverse et s'accroche aux rampes d'escaliers.

Inconvénients liés au handicap :

  • le bruit - grand ennemi :
  • à l'extérieur, police, pompiers, ambulances (bien sûr indispensables), circulation, alarmes de voitures, de magasins, klaxons, éboueurs (6 jours sur 7 en ville), fêtards ... sont de constantes appréhensions : un sursaut entraîne le réveil.
  • à l'intérieur : les voisins qui partent tous les week-ends au ski, "à la caravane", dès l'aube, le bricoleur qui perce, qui cloue, qui scie très tard le soir, les billes tombant sur le carrelage, les mules qui claquent à chaque pas, les enfants qui dévalent les escaliers, les portes fermées bruyamment, les soirées animées, la musique sont autant de nuits blanches et obligent parfois à recourir aux calmants. 
  • à l'opposé : l'angoisse de gêner ces gentils voisins (aussi charmants et compréhensifs soient-ils) souhaitant se reposer, lire ou bronzer et qui sont obligés de supporter tout un après-midi des cris stridents, accompagnés de jeux bruyants.

Réorganisation :

Déménagement sur déménagement : changement de location, achat d'une petite maison avec toujours l'impression d'avoir réussi l'opération et chaque fois l'erreur est totale : rien n'est fonctionnel. 

La vie matérielle, l'organisation de l'intérieur sont progressivement repensés, modifiés en fonction des besoins nouveaux de l'enfant :

  • réorganisation de la maison : on s'aperçoit vite que les logements n'ont pas été conçus pour élever et vivre avec un enfant handicapé.
  • environnement psychologique : améliorer les conditions de vie de la famille c'est permettre de trouver un certain calme, une ambiance détendue afin de construire une sorte de "cocon fonctionnel". 


Il faut, comme chez n'importe quel enfant, lui apprendre à respecter les interdits essentiels, le faire avec fermeté mais avec beaucoup de patience ; ne pas le contrarier est indispensable.

Les problèmes financiers sont ressentis différemment "faire avec ou se passer de" ne peuvent pas faire partie du langage face au handicap. 
Tant de gestes inutiles, excessivement fatigants pourraient être évités. Une tension permanente, usante pourrait être allégée. Bébé dans le couffin, il faut descendre les étages, l'installer dans la voiture, le cabinet de soins du kinésithérapeute n'étant pas toujours près d'un parking, le trajet à pieds, est à faire avec un petit frère ou une petite sœur qui doit marcher seul avec tous les risques encourus. Après la séance, même problème en sens inverse. Bébé grandit, il faut abandonner le couffin et porter un corps inerte, sans aucun tonus musculaire et l'installer dans la voiture d'où de nombreux problèmes de colonne vertébrale pour ces jeunes mamans. De plus ces rendez-vous ont souvent lieu après leur journée de travail.

Un petit progrès, égal un risque. On est tout heureux d'un résultat et c'est l'angoisse du danger. Le moindre accident est équivalent à la régression, un petit bobo et aucun progrès pendant plusieurs jours. Une priorité : éviter un séjour à l'hôpital à tout prix, il est incompatible avec l'évolution à obtenir.

Conséquences :

Une tristesse, un découragement, une envie de baisser les bras, causés par des soucis inexplicables affrontés au cas par cas, au jour le jour pourraient être atténués par un minimum de confort adapté.

Les mots sont vains face à ce "vécu" où 365 jours sur 365, une certaine impuissance, un certain désarroi vous accablent. L'avenir vous angoisse : jamais une vision ou un projet heureux ne vous aident à aller de l'avant.

Au quotidien :

Cette expérience de Grand mère d'un petit Bertrand "différent", le contact fréquent avec ces parents face à leur destin difficile m'a amené à réfléchir sur l'environnement qui permettrait aux familles "d'enfants à problèmes" de trouver un certain confort de vie et des installations en harmonie avec les contraintes qu'apportent le handicap mental.

Pour ce petit monde qui a pour seul médicament : le silence la nuit, le calme la journée, des distractions et divertissements apaisants plus qu'excitants, des frères et sœurs prévenants, amusants, des parents patients à l'extrême, pour que toutes ces conditions soient réunies, seul, l'indispensable approprié peut aider à faire vivre la famille dans une harmonie nécessaire pour que progression, puis peut-être intégration, soient réalisables.

Une maman tendue à l'extrême par le manque de confort adapté au handicap est obligatoirement nerveuse, crie et c'est le contraire du but recherché. S'il y a répétition de cet état de fait, c'est la régression ou l'entêtement, la haine, la méchanceté et même la brutalité qui s'installent. Ces enfants sont "tout amour" quand tout va bien.

Le handicap mental ou physique est une autre épreuve pour les familles qui la vive, non moins douloureuse, une souffrance éclairée cependant par les progrès qui apparaissent chez certains enfants et auxquels contribuent les soins conjugués des familles et de tous les intervenants de la santé : psycho-motriciens, kinésithérapeutes, éducateurs à domicile dont il faut souligner le concours irremplaçable par leurs compétences et leur humanité.

A souhaiter :

On peut souhaiter un lotissement composé de pavillons, séparés les uns des autres, laissant à chacun son indépendance, composé exclusivement d'un rez-de-chaussée communiquant sur une petite cour ou jardinet sans aucune contrainte pour sortir le ou la bénéficiaire au moindre rayon de soleil.

Il comprendrait :

- une cuisine, avec un coin repas détaché de la zone des appareils ménagers, séparé par un mur de 1 m 20 à 1 m 40 de hauteur, qui éviterait à ces "gamins" (d'une taille de 6 / 8 ans... et qui malheureusement gardent un mental de 2 - 3 ans) de multiples occasions de se blesser avec la cuisinière (piezzo, gaz, plaques électriques, four, casserole renversée : c'est la brûlure). Les couteaux, les ciseaux sont tentants mais tellement dangereux.

Crispant de cuisiner avec eux qu'il faut pourtant occuper ; le temps de se retourner une cuillère d'eau de vaisselle est absorbée, les épluchures de légumes sont mises dans le potage ou jetées sur le sol, c'est un risque de chute supplémentaire. Les portes de placards ouvertes des dizaines de fois, on se relève et une bosse ou une blessure.

Cheminée (brûlures, risque d'incendie si la vigilance décroît quelques instants d'un geste vif le secteur tirage est ouvert), chauffages d'appoint, escaliers, portes de sorties sur l'extérieur, tout est source d'inquiétude et ceci pendant des années alors que les mauvais moments de la petite enfance ne durent, en principe, que quelques années.

  • un coin jeux, près de la salle de séjour, pour une attention ininterrompue (malaise, mauvaise chute, absorption de corps étrangers...) et pour faciliter la surveillance et/ou la communication avec l'enfant ce qui est primordial, indispensable.
  • une chambre pour l'enfant, isolée tant des W.C. que de la salle de bains, ou de la chambre des autres frères et sœurs (isolation phonique souhaitée).

Entre cette chambre et le coin jeux, un coin toilette dans lequel on peut concevoir, pour les changes fréquents et les petites toilettes, une installation, peu coûteuse, avec une planche fixée à bonne hauteur et un fauteuil plastique dans le bac à douche.

  • la chambre des autres enfants, située à distance, pour leur permettre de mener de leur côté une "existence normale" et d'échapper un peu à ces contraintes de vie qui pèsent même lorsque l'on aime beaucoup ce "petit" porteur d'un handicap.
  • la salle de séjour, démoralisant de vivre avec une salle de séjour où il faut installer un parc de 2 m. sur 3 pour contenir l'enfant, sans l'isoler, pour quelques minutes lors du passage du facteur, d'un livreur, d'un représentant, du lavage des sols, du garnissage de la cheminée… ou dans les situations périlleuses.

Déprimant, de ne pas avoir un "coin" disponible à la demande sans avoir à ranger : jouets, livres, cahiers…Des journées complètes, il faut remettre en ordre ce qui sert de distraction.

Reposant d'avoir un "petit havre de paix" convenable au moment désiré, pour les visites.

Ce pavillon de plain pied est indispensable ; indispensable par rapport à l'inconscience du vide. Fenêtres, balcons peuvent être enjambés.

Une maison rationnelle où chacun pourrait vivre, moins tourmenté, dans les nombreux moments difficiles : une harmonie dont les privilégiés seraient, bien entendu, ceux pour ce qui projet devrait se réaliser.

Tout ceci additionné, le résultat serait positif et permettrait de gagner quelques années en vue d'approcher un comportement de vie acceptable pour une intégration dans le "monde du travail" de ces futurs adultes.

On peut imaginer que, dans ce lotissement, un pavillon supplémentaire pourrait être intégré, pavillon composé de 4 ou 5 pièces (mises à la disposition des familles et permettant des vacations pour le personnel para-médical) et dans lequel prendrait place :

  • un local pour certains soins qui n'exigent pas de matériel approprié,
  • un local pour les jeux : jeux électroniques et jeux éducatifs par exemple qui favorisent l'éveil (pourraient être offerts par des Associations ou Clubs).
  • un local pour garderie : les Allocations Familiales acceptent de rémunérer des personnes à mi-temps pour surveiller en garderie, tous les jours de la semaine, des enfants handicapés (acceptation pour ces enfants "exclus du système" résidant à la cité pavillonnaire et dans les communes environnantes).

Ces enfants sont à la charge quasi totale de leurs familles (souvent monoparentales). Ce lieu d'accueil temporaire pour socialiser ces "enfants différents", les stimuler par le jeu, les éveiller à la rencontre d'autres petits camarades s et les intégrer à la vie d'un quartier permettrait également d'apporter aux parents quelques heures de répit (à leur gré) dans la prise en charge de leur "bambin".

- un autre local pouvant comporter un bureau, une salle de réunion, une bibliothèque, une zone de bricolage : autant de lieu d'échanges pour les parents et les enfants, leur permettant de confronter leurs expériences, avec tableau d'affichage pour épingler les bonnes idées ayant donné des résultats positifs.

Face à ces difficultés :

Seuls sont sensibilisés les proches (parents, amis, voisins) en visites fréquentes au domicile d'enfants différents.

Les réactions, après plusieurs heures de présence, sont toujours identiques :

  • stupéfaction (jamais je n'aurais imaginé…),
  • supposition (je ne sais pas si je pourrais…),
  • admiration (eh bien ! vous avez un courage…).

Et pourtant c'est une vision de courte durée : quelques heures, quelques jours, un survol des problèmes accompagné de bons conseils donnés en toute bonne foi lors des premières visites mais entièrement révisés au fil du temps. Tout est tellement particulier et invraisemblable dans le comportement de ces bambins ; il est impossible de décrire ce qui est évident pour les parents (qui évoluent et s'adaptent quotidiennement) et qui ne peut même pas effleurer la pensée des personnes non concernées.

La même phrase revient toujours : terrassé(es) par la fatigue. La souffrance exprimée par les Mamans qui peuvent s'extérioriser vous fend le cœur et vous incite à soulever des montagnes. Le chagrin intériorisé de celles qui ne s'expriment pas est nauséeux des prémices du réveil à la dernière pensée du jour. On voudrait ne jamais s'endormir pour ne pas avoir à réaliser, à nouveau, le lendemain. Cette détresse, ce chagrin sont immenses à gérer.

Qui peut dire : "ça n'arrivera jamais chez moi" ? Que de "pourquoi mon petit ou ma
petite" ? "mais pourquoi chez nous ? " au cours d'une journée.

Il est embarrassant d'exposer des conditions de vie triste et épuisante sans donner l'impression de tomber dans l'excès ou le misérabilisme.

Voeux :

Un effort considérable a été réalisé ces dernières années pour les handicapés moteurs, les non-voyants, les malentendants, cet effort ayant amélioré leur vie en leur facilitant l'accès aux transports en commun, aux bâtiments publics, en facilitant aussi leur réinsertion par le travail ou l'organisation de leurs loisirs.

Pour les personnes déficientes intellectuelles, on peut souhaiter que les pouvoirs publics comprennent leurs besoins très particuliers et contribuent à créer un environnement susceptible d'améliorer la vie des familles et par là même celle de leur enfant handicapé.

Novembre 1994 - Andrée MAS